Dr Edgar Charles Mbanza, immersion en Ehpad

Un ethnographe de la communication au coeur d’un système de soins palliatifs

Titre original article : Santé connectée : expérimentations et expériences Careware – de nouvelles problématiques en études des usages

Titre original rapport : Edgar Charles Mbanza (2019). Nouvelles problématiques de l’usage en santé connectée : leçons des expérimentations Careware. Socio-ethnographie immersive en Ehpad et en en Hospitalisation à Domicile –Rapport final  Paris

Octobre 2018. Un mardi de soins et d’injections à domicile, une matinée comme les autres pour les soignants de la structure nancéienne. Ma tournée avec l’infirmière commence dès huit heure. Avant de nous diriger chez la première patiente, direction d’abord le Centre Hospitalo-Universitaire afin de récupérer la chimio- un produit aussi fragile qu’onéreux qui doit être conservé de façon centralisée et sécurisée dans les chambres froides du grand établissement. Nous n’avons pas encore franchi la sortie du parking que l’infirmière est déjà branchée à son smartphone. S’active, fait le point, à distance, avec des collègues du siège ou en mobilité, avec des intervenants externes, le médecin traitant, les libéraux, etc. Elle appelle, répond, vérifie avant de poursuivre une conversation. Impressionné par cette habileté à gérer plusieurs appels en même temps, de passer d’un appel à la consultation d’un dossier sur écran, au fond de moi je me dis que je serais personnellement incapable d’utiliser le portable avec autant de dextérité. « Je viens d’apprendre que le patient T.x. a la température qui monte depuis hier. Je ne sais pas si je dois lui administrer la chimio aujourd’hui, mais personne ne peut savoir », dit-elle un brin inquiète. […] A l’hôpital universitaire, d’autres praticiens sont là à attendre. Le temps d’attente permet à l’infirmière de poursuivre le diagnostic en butinant ici et là des informations sur les patients à visiter, de fixer directement avec eux les dernières confirmations du rendez-vous (avance ou retard éventuels) voire de préparer ensemble l’occasion (des produits à sortir du frigo – il faut au moins une demie-heure de repos  pour que le produit soit prêt pour l’injection, des papiers à apprêtés par exemple). De longues minutes durant et à distance, l’infirmière continue de s’enquérir de l’état de ses patients, surtout de ceux qui doivent recevoir l’injection le jour même mais dont l’état est instable : « Car entre l’évaluation d’hier et ce matin, l’état peut se dégrader rapidement», me lance-t-elle. C’est ce genre d’incertitudes qui sont difficiles à couvrir, des sortes d’interstices temporels dans lesquels les imprévus surgissent. Pour le patient dont la température a grimpé la nuit, l’infirmière a certes maintenu de récupérer le traitement, mais rien ne dit qu’il y aura effectivement l’injection. Elle a appelé tout le monde, les familles, les infirmières coordinatrices, le médecin, mais « nous sommes toujours dans l’indécision. J’irai prendre les mesures physiologiques et là on décidera sur place si on peut ou non administrer le traitement ». [Ndlr : La personne ne sera pas finalement injectée comme prévu, au regard de son état de santé : « Les cas comme celui-ci sont très problématiques, me dira l’infirmière. Le médicament est très fragile et je ne sais même pas comment je vais faire, si je dois ou non le retourner au CHU. Je vais voir ça avec le siège et le médecin »]. Lorsque M.y.i. reçoit enfin la boîte contenant les produits, avant même de vérifier une dernière fois la paperasse, elle ouvre la valisette-frigo tout en regardant l’application du thermomètre connecté sur son écran téléphonique, et dit : « J’ai un doute sur la température  [Ndlr : celle-ci doit rester impérativement entre 2° et 8°]». Elle relance l’application et pousse un ouf de soulagement : « Heureusement qu’on a l’application, sinon on serait obligé d’ouvrir à chaque seconde pour vérifier la température de conservationà l’intérueur » […].

Le développement de la santé connectée ne pourra faire l’économie d’une compréhension fine des contextes d’usage, dans le but d’ajuster progressivement les demandes sociales et les inventions techniques, ou encore, plus en amont, d’intégrer davantage les usagers dans les processus de conception. Nous reviendrons plus longuement sur la problématique des apprentissages qu’implique le nouveau numérique intelligent. De manière globale, comme le souligne le mathématicien et élu français Cédric Villani dans son dernier rapport sur l’Intelligence Artificielle, l’émergence de nouveaux usages et modèles sociaux caractérise l’essor de la technologie numérique actuelle dans sa globalité. « Il est aujourd’hui encore difficile d’estimer l’ensemble des conséquences sociales (vertueuses ou non) de l’utilisation de produits et services [à venir], dans la mesure où bon nombre d’usages restent encore à découvrir ou à inventer » (Villani, 2018 : 15). La problématique de l’usage s’avère d’autant plus pertinent que les aspects sociaux et éthiques restent ceux qui posent le plus d’interrogations aujourd’hui. Dans le champ de la santé en l’occurrence, le défi porte en outre sur la nécessité de faire participer les patients, aux côtés d’autres acteurs, aux cruciales questions de gouvernance de ces objets nouveaux, et surtout à en forger de nouveaux outils et protocoles de validation. L’usage effectivement, et plus précisement sa validation par les différentes instances habilitées, restent dans l’ensemble la problématique majeure de l’innovation en santé connectée : l’une des demandes les plus pressantes des patients, des familles et des soignants est que les objets par ailleurs de plus en plus nombreux à traverser informellement la barrière entre le marché du « bien-être » et le champ médical, soient soumis à des tests d’évaluation rigoureux. Tant au niveau national qu’international, nous sommes en 2018 dans une phase d’essai d’une offre industrielle en essor; en France cependant, le constat général est que les expérimentations en télémédecine, de façon générale, se trouvent dans une impasse malgré les encouragements des pouvoirs publics […].

Mes dernières recherches soulignent d’abord le caractère centrale de la notion de l’usage dans la compréhension des milieux numériques émergents. L’usage qui, avec les dernières évolutions technologiques, apparaît de plus en plus comme un « fait social total », pour reprendre les termes de Marcel Mauss. Dans ce contexte, la recherche scientifique s’impose d’autant que l’ « usage », devenu le parangon de vertu chez nombre de promoteurs de l’innovation, est à la fois un « mot-valise », polysémique sinon beaucoup instrumentalisé, au mieux spéculé, tout en restant un cadre [frame] majeur et central dans l’institutionnalisation de dispositifs et de pratique. Plus modestement, nos enquêtes de terrain nous apprendra – nous y reviendrons dans les sections à venir-, que l’usage dans le champ de l’innovation numérique, et plus encore en santé connectée, n’est pas un ‘allant de soi’ et qu’il faudrait devoir en nuancer et en complexifier l’observation, l’analyse et l’évaluation. L’analyse des sémiologies variées (médiatiques, associatives, grand public, etc.) autour de la santé connectée pointera de nombreuses ambiguïtés quant à la définition même de l’usage, ainsi que les manières de le mesurer, d’en spécifier le contenu et la substance, et que les termes et les outils conceptuels les plus convoqués relèvent souvent du « sens commun ». A l’instar de ce qui avait été relevé dans le cas d’une autre grande notion convoquant les usagers dans la problématisation du numérique, « la fracture numérique » (Rallet & Rochelandet, 2004), «  […] la notion a du sens, mais peu de contenu », et nombre de discours cherchent à opérationnaliser le concept avant même d’en fournir la substance (ibidem). […]

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