La vie sociale du ‘numéro’ : ethnographie de l’infraordinaire mobile

Il n’y a pas de travaux, à notre connaissance, focalisés sur le « numéro » de téléphone mobile. D’après notre enquête, les interactions à ce sujet se sont avérées spécifiques et à même de compléter les observations centrées sur l’appareil ou sur les communications. Le « numéro » est partout, dans les bidonvilles : sur la peau du corps où il a été marqué à la volée, au hasard d’un contact et faute de papier, sur les habits (où les démarcheurs et autres businessmen de l’informel l’affichent en grands caractères), sur divers objets circulants (vélo, moto, voitures, charrettes, etc.), sur les murs et les portes des baraques, etc. Les habitants échangent leur numéro sans retenue : rares sont les rencontres qui ne commencent ou ne se terminent pas sur : « tu es sur combien ? » ou « les tiens [tes numéros], c’est combien ? ». Car ici, il est fréquent de posséder plusieurs numéros, c’est-à-dire plus d’une carte sim. Même les individus qui ne possèdent pas d’appareil personnel ont une puce et participent aux échanges du numéro, tandis que ceux qui n’ont rien savent se faire domicilier sur le numéro d’un ami, d’un membre de la famille, d’un voisin, s’arrangeant pour être présent auprès du domiciliaire quand l’éventuel appel surgira : « Tiens, c’est mon numéro, celui de mon frère en fait. Tous les soirs, tu peux m’appeler, je suis avec lui » (Enquêté Dop, Touba Pikine). Et c’est ainsi que le portable survit même à l’absence de l’appareil, ou même du forfait. Le « numéro » s’échange sans arrêt, dans les transports en commun bondés, aux arrêts de bus, au sein des petits groupes qui se forment sur les trottoirs avant et après les moments de prière quotidienne, lors des croisements rapides et pressés entre personnes se connaissant peu ou beaucoup, ou lors d’un contact qui doit être rapide et discret car non socialement légitime. Rappelons que nous sommes dans un contexte social et culturel où les premières approches (la « présentation ») entre personnes de statuts culturels ou sociaux différents sont parfois difficiles. De plusieurs manières, le numéro de portable devient un artefact au secours de l’individu dans des situations peu propices à la communication en face à face (bruits, surpopulation, bousculades, regard social inquisiteur). En plein mouvement, dans la rue encombrée notamment, il offre la possibilité de « saisir le contact ». « On prend le numéro, et on

Médias du quotidien depuis une baraque de bidonville

Franchises hollywoodiennes. Innovations artistiques, technologiques et industrielles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *