Une cartographie socio-éco-centrée de l’inclusion numérique dans les PvD : en quête de modèles, des écosystèmes à la fois enracinés et ‘extravertis’
Par Dr Edgar C. Mbanza. Une cartographie actualisée et interactive d’après une étude menée en 2022/23, commanditée par un opérateur du développement international, via un cabinet de conseil.
La présente cartographie est issue d’élements de notre enquête de terrain completés par une exploration documentaire et des entretiens avec des porteurs d’une quinzaine de programmes d’inclusion numérique en Palestine, au Sénégal et au Mali, des projets en cours ou récemment terminés impliquant par ailleurs une quarantaine d’acteurs locaux ou internationaux. Dans le but de mettre en lumière les tendances globales, l’analyse emprunte également des données tierces portant sur le domaine général du numérique du développement (ICT4dev) et les innovations technologiques sociales. Les écosystèmes d’inclusion analysés portent sur les actions et les acteurs qui facilitent l’accès au numérique, ou encore l’accès aux opportunités sociales à l’aide du numérique, en faveur d’individus et de groupes en situation de précarité.
Les écosystèmes de l’inclusion numérique des trois pays, Palestine, Mali et Sénégal, réflètent des situations nationales différenciées du processus de digitalisation, en même temps qu’ils sont marqués par des problématiques communes ainsi que par des tendances que l’on observe dans les territoires containts, de manière générale. D’apparence hétérogène, le premier constat est que la médiation numérique s’articlule autour d’un nombre moyennement limité de types d’activités. Nous insisterons sur la variété des offres, mais dans l’ensemble cependant, les acteurs semblent privilégier d’une part les actions visant à améliorer la connectivité, à permettre l’accès à Internet et aux terminaux ainsi qu’aux compétences de base et, d’autre part les applications concrètes du numérique dans le cadre des activités socio-économiques.
Autrement dit, dans un contexte comme dans un autre, la médiation numérique vise moins la maîtrise des technologies que l’inclusion sociale par le numérique. Cette focalisation des projets sur « la vie réelle » illustre une tendance forte en termes d’évolution du domaine de l’inclusion numérique, dans les pays en développement de manière généréle. Alors que les premiers « télécentres » et autres centres multimédia communautaires insistaient sur l’accès à l’outil Internet pour recevoir ou envoyer des informations, le dispositif actuel se veut comme un veritable lieu de participation sociale et d’accès aux opportunités et aux services essentiels.
D’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre, l’état des infrastructures et des besoins diffèrent. Les fragilités et les exclusions numériques présentent néamoins des similitues, frappant principalement les publics non alphabétisés, les personnes aux très faibles revenus et ceux situés dans les zones blanches. Les femmes, surtout les plus pauvres, restent particulièrement fragililisées par la numérisation croissante de la société.
L’autre caractéristqiue, parmi les plus saillantes, concerne la diversité des financements et des soutiens. En plus de l’implication des principaux bailleurs classiques du développement qui appuient les programmes via des appels à projets ou des programmations budgétaires dédiées, l’inclusion numérique dans les trois pays est portée dans le cadre de montages partenariaux mixtes entre acteurs privés et publics, nationaux et internationaux. La majorité des projets émane d’une association entre une organisation non gouvernementale internationale et une organisation locale, avec le soutien d’un ou de plusieurs bailleurs (modèle Fisong). Dans le cas des programmes d’envergure (infrastructures, formations massives, développement de services innovants), nous relevons des partenariats plus larges, des montages multi-bailleurs et multi-acteurs entre ONGs et associations solidaires (spécialistes ou non du numérique), opérateurs des télécoms, agences de coopération, institutions intergouvernementales (qui vont de l’Unesco à l’IUT ou à Banque Africaine de développement), multinationales du numérique (comme Meta, Google, Microsoft, etc. Aux côtés bien-sûr d’une diversité d’organisations ou de collectifs locaux, privés ou associatifs, des instiututions publiques, des starUps, etc.
Il ne s’agit pas d’un fait nouveau, en réalité : les « partenaires » (soutiens internationaux, privés ou publics) ont toujours occupé un rôle capital dans le fonctionnement d’une radio communautaire, d’un centre multimédia ou d’une association dédiée aux technologies de communication. La tendance a cependant a été amplifiée dès le début du numérique. Sur ce, la sociologue Laurence Allard (2012) parlait de nouveaux acteurs de la « technophilanthropie » globalisée, énumérant plusieurs exemples où les industriels des télécoms, devenus philanthropes et travaillant de concert avec les humanitaires et les acteurs publics, promeuvent des projets et des expérimentations basées sur les nouvelles technologies de l’information.
L’on notera enfin de multiples formes de réappropriations localisées qui caractérisent les actions d’inclusion numérique, alors même qu’elles dépendent majoritairement de l’aide internationale. Les écosystèmes locaux sont effectivement marqués par une dynamique double : à la fois enracinée dans les bases communautaires et dans les besoins des populations et, de l’autre, « extravertie », orientée par les politiques du développement et la ‘technophilanthropie’. Des écosystèmes inscrits dans les besoins du quotidien d’un côté et, de l’autre, investissant de plus en plus des technologies avancées, des systèmes intelligents dans des secteurs comme l’agriculture, l’éducation, les innovations numériques, etc.